Jean Adagbénon, Mister Jaya !

Auteur, compositeur et interprète, sa voix chaude et rauque ne laisse aucun mélomane indifférent. Il a le mérite d’avoir accompagné à la batterie quelques célébrités comme Manu Dibango, Fèmi Kuti, Salif Kéïta, Lionel Louèkè et Bernardo Sandoval. Depuis le 04 janvier 2015, Mister Jaya est de retour avec Dévo premier, son nouvel opus.

 

Bonjour Jean, merci d’accorder cet entretien à Afiavimagazine. Que devient Mister Jaya après tant d’années de présence assidue sur la scène musicale nationale voire internationale ?

Bonjour à vous aussi et merci pour l’invitation, je salue également vos lectrices et lecteurs. Disons que je suis toujours resté artiste chanteur, batteur travaillant pour son propre compte c’est-à-dire, mettant en valeur la musique béninoise et africaine que j’aime bien.

D’accord, mais c’est un fait que vous êtes resté longtemps moins visible que d’habitude ?

C’est vrai, entre l’album Zéïaga (2004) et le tout nouveau Dévo premier, il y a eu deux autres, Cèbo (2008) dont le titre phare Zémi a beaucoup plu même si cela ne répondait pas totalement à ce que je faisais avant. Puis en 2011, il y a eu Pour ta gloire, du gospel pratiquement ; du coup, j’ai été coupé de mon public d’avant.

Est-ce à dire que vous êtes devenu religieux entre temps ?

Je l’ai toujours été, seulement que je n’avais jamais sorti un album gospel au paravent. Sinon que dans mes précédents albums, il y a toujours un titre en hommage à Dieu.

A l’analyse, comment interprétez-vous ces échecs discographiques ; sont-ils à la base de votre éclipse temporaire ?

Je ne cède pas au découragement, mais c’est aussi vrai qu’à un moment donné, j’étais fatigué de voir mes œuvres piratées. En fait, j’ai fait du gospel pour me faire plaisir ; je vis pour Dieu et j’ai voulu le glorifier par mon travail. Cela n’a pas connu le succès espéré et m’a coupé de mon monde habituel ; je suis heureux d’avoir fait cette expérience même si le public ne m’a pas suivi. J’avais pris l’habitude de lui servir une musique où il était aux anges. Maintenant je suis de retour avec un mélange entre le profane et le spirituel.

C’est connu, la piraterie ronge, ruine et tue l’artiste ; mais quel en est le meilleur antidote selon vous ?

Aujourd’hui, la situation est si préoccupante que je plaide pour une sensibilisation intensive afin que les populations comprennent d’elles-mêmes le tort qu’elles font à leurs propres enfants en les empêchant de rentabiliser de lourds investissements dans la production d’œuvres de l’esprit.

Vos fans sont tout  heureux de ce retour d’autant plus que vous mettez un nouveau concept rythmique en scelle, le mass go avec une nouvelle danse appelée go on…

C’est exact. Dans toute ma production discographique, j’ai travaillé sur le massè gohoun, une musique traditionnelle créée par YEDENOU Adjahoui Hambladji originaire d’Avrankou dans le département de l’Ouémé. Mais je ne lui ai pas donné une forme qui peut être interprétée par des Américains, des Japonais, des Hindous, des européens, etc. Cette fois-ci, je l’ai mis au point pour une exportation sans complexe, pour être dansé dans toutes les boîtes de nuit.

Il se dit ça et là que vous artistes béninois ne faites rien pour donner une identité à votre musique à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays de la sous région. Ainsi le tchink avec Tohon Stan n’est pas allé bien loin encore moins le soyoyo de Robinson Sipa, pourquoi pensez-vous que le mass go connaîtra un meilleur sort ?

 Le massè gohoun est un rythme irrésistible par nature mais très complexe. Je me suis donc essayé à un premier jet de simplification. C’est le premier tirage du concept, ce qui vient sera encore plus fort. Le soyoyo emprunte à mon avis, quelques éléments à la musique congolaise alors que le mass go est sans influence extérieur. L’Afrique est la mère des rythmes et le Bénin en compte de très riches!

En parcourant l’album, on découvre à travers ses quinze titres une mosaïque de thèmes, vous parlez de l’eau (Omi water), du phénomène de dépigmentation (Ami sisa), de Dieu (Règne et Domine) et bien d’autres choses encore. Est-ce un choix délibéré de faire de cet opus un fourre tout ?

L’idée, c’est de rassembler ; d’amener tout le monde à adhérer au mass go à travers ces différents thèmes. L’eau est indispensable à la vie et  en parler aujourd’hui, c’est évoquer le conflit israélo-palestinien, la condition des pays désertiques, c’est appeler à la conscientisation d’un problème mondial. Je pense par ailleurs qu’on peut évoquer Dieu sous plusieurs formes, moi je parle surtout de l’amour du prochain d’un titre à un autre ; sans amour, point d’avancement. Je parle aussi du travail bien fait, qu’on ne soit pas jaloux de l’autre, qu’on avance soi-même. J’estime aussi que le monde a besoin d’équilibre car l’argent est en train de ruiner les vies. C’est un album au contenu universel.

Vous chantez Dieu dans un pays qu’on dit très fervent ; au regard du quotidien des concitoyens, de la gestion des affaires publiques, trouvez-vous pertinente une telle démarche ?

C’est un constat affligeant que tous ceux qui détiennent une portion du pouvoir dans le pays fréquentent des églises alors que leur gestion laisse à désirer. Nous avons des yeux pour voir et nous entendons aussi. Je suis un artiste, le porte parole des sans voix. J’entends que la misère s’accroît, que la situation du pays se complique de jour en jour, que la corruption est galopante ! Tout est politisé et l’homme qu’il faut n’est plus à la place qu’il faut. Si c’est ainsi,

il n’y aura pas de progrès or nous voulons avancer. Nous étions parmi les premiers à emprunter la voie de la démocratie en Afrique, aujourd’hui nous tenons les derniers rangs.

Actuellement, le Bénin traverse une période électorale pleine d’incertitudes ; quel est ton message à l’endroit des paisibles populations ?

Respectons dans la tolérance les convictions de chacun. On ne peut rien attendre de ceux qui achètent les consciences. Il y a des personnes sérieuses au sein du peuple qui appréhendent  la misère de la nation, qui ont la tête sur les épaules et qui n’iront pas  vendre le pays autour d’un petit verre.

Quels sont tes projets immédiats ?

La promotion du nouvel album à travers forums et festivals pour défendre et faire connaître le mass go.

Un appel en guise de conclusion ?

L’Afrique doit avancer, l’Afrique de demain est dans nos mains. Il faut maintenant se décider avec courage. Boutons l’extrémisme hors d’Afrique, cela ne nous ressemble pas. Alors  vive la liberté, vive l’amour du prochain ; et que vive la musique ! Je vous remercie.

René Georges Bada (Afiavimag)

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